Quand j’étais enfant, je me plaisais à imaginer l’identité de mon père : un prince africain, un joueur de basketball professionnel, un jazzman… Les chances qu’il soit chômeur sont malheureusement plus nombreuses étant donné que l’intérêt de donner à une banque de sperme est d’obtenir de l’argent facilement. Depuis que j’ai réalisé cela, mon désir de découvrir l’identité de mon géniteur est un peu moins pressente… Il n’empêche que je suis toujours à la recherche de traits familiers lorsque je croise des hommes noirs dans la cinquantaine. J’ai toujours une petite pointe de tristesse lorsque je vois un couple métissé : le portrait de portrait de famille dont j’ai longtemps rêvé. J’envie aussi les grosses familles africaines ou haïtiennes qui se retrouvent le dimanche pour aller à l’église protestante, baptiste, évangélique, etc. Ma famille à moi se restreint à ma mère et à ses amies. Je n’ai pas connu mes grands-parents maternels lorsqu’ils étaient vivants, mais des photographies prouvent qu’ils m’ont déjà rencontrée. L’inexistence d’une famille traditionnelle a longtemps entretenu ma crise identitaire, principalement à l’adolescence. Aujourd’hui, je ne sais pas d’où je viens, mais je sais qui je suis et où je vais. Grâce à l’orgueil de ma mère (dans ce cas positif, si on peut appeler cela de la fierté), j’ai participé à des concours de beauté dès mon plus jeune âge. À dix ans, je faisais de la figuration à la télévision et, à douze ans, je jouais un rôle secondaire dans un film pour la jeunesse! Depuis, je suis allée à l’École nationale de théâtre. J’ai du succès, mais malheureusement que pour des rôles «ethniques». Pareil auprès des hommes : étant donné ma beauté de mulâtresse, j’ai du succès auprès des hommes si bien noirs que blancs, mais tous superficiels.
Lorsque je voyage, je me sens moins étrangère que chez moi. Je n’ai pas à me demander si je suis davantage noire ou blanche : aux yeux de tous, je suis une touriste. Ma crise identitaire, entremêlée du narcissisme héritée de ma mère, s’atténue alors que mon ouverture sur le monde, mon désir d’apprendre sur d’autres cultures grandit. Je me rappelle alors, qu’au-delà des compartiments génétiques et culturels, que nous provenons tous du même berceau de l’Humanité; et encore, que nous ne sommes qu’une espèce d’êtres vivants parmi tant d’autres! Réaliser à quel point je suis minuscule dans l’Univers, étrangement, me rassure. Je fais partie du Tout. Il n’y a pas de Noir ni de Blanc, nous ne sommes que des Gris depuis la nuit des temps.
M.B.