Depuis nos jeunes années, nous chérissons des intérêts et des rêves communs. Nous avons choisi la même carrière, ou presque, pour des raisons différentes. Environ dix ans séparent mes élèves des tiens, mais ils restent tous des enfants à mes yeux. J’ai choisi d’enseigner au secondaire, mon alter mater, et toi, d’enseigner au préscolaire, cette année de découvertes et d’éveils qui peut être à la fois si émouvante et si éprouvante. Si pour toi, les adolescents ont toujours semblé ingrats et difficiles à motiver, les enfants m'ont toujours paru bébés et incontrôlables. L’année dernière, je partageais ton opinion, et cette année, tu partages surement la mienne.
Le plus difficile pour moi fut de prendre la décision de démissionner. C’était ça ou le congé de maladie. Par orgueil ou par découragement, j’ai préféré démissionner: je ne me voyais pas revenir dans ces groupes-là. Par chance ou par bonheur, j’avais les moyens de ne pas avoir ce salaire et de retourner aux études pour terminer ma maitrise. Deux ans plus tôt, j’avais eu un son de cloche qui m’avait poussée à retourner aux études à temps partiel: je n’étais pas outillée pour aider tous les élèves en difficulté dans mes groupes. J’ai cru que l’orthopédagogie m’intéresserait, mais j’ai plutôt découvert que c’était la didactique plus que la pédagogie qui me passionnait. Et toi, qu’est-ce qui te passionne de ton travail d’enseignante? La pédagogie? La didactique? Le partage des connaissances? L’éducation? Le contact humain?
En finissant ma maitrise, j’avais espoir de devenir conseillère pédagogique ou chargé de cours à l’université. Je me disais que je n’enseignerais plus aux adolescents, les mettant tous dans le même panier et surtout, à me mettant à moi, des limites psychologiques. Je me disais que parce que j’étais trop patiente et pas assez sévère, je ne saurai avoir une bonne gestion de classe que si les conditions étaient idéales, c’est-à-dire dans un milieu aisé et avec des apprenants motivés. Je me suis rapidement rendu compte que je n’étais pas à ma place dans n’importe quelle école de la formation aux adultes. Ainsi, alors que je pensais que changer de groupe d’âge allait régler toutes mes inquiétudes et difficultés, j’ai réalisé que c’était surtout une question d’équilibre de vie et de confiance en soi. Tu te demandes si enseigner en 1re année plutôt qu’en maternelle diminuerait le nombre d’élèves non diagnostiqués dans ta classe et faciliterait ainsi ton travail. Peut-être, peut-être que non. C’est malheureusement quelque chose de difficile à prévoir. Toutefois, l’espoir que ce le soit, lui, a et aura un impact considérable sur ta confiance en ta compétence professionnelle.
Enseigner à des adultes motivés, en cours semi-privés ou privés, m’a permis de confirmer mon intérêt pour l’enseignement du français de même que mes qualités. En parallèle, j’ai suivi un cours d’analyses pédagogiques qui m’a permis de revenir sur mon début d’année difficile avec un recul que je n’avais pas réussi à avoir lors des rencontres avec ma psychologue. Discuter avec d’autres enseignants ou de futurs enseignants m’a permis de légitimiser mes remises en question en ce qui concerne ma carrière, mais surtout de comprendre que les conditions de travail que j’avais connues étaient grandement responsables de mon départ. Dans ce cours, j’avais trouvé un endroit sécuritaire pour parler de mes difficultés en gestion de classe et surtout j’avais compris que ces difficultés étaient tout à fait normales: plusieurs les avaient vécues, d’autres les vivraient à leur tour. Qui plus est, la recherche le prouvait: j’étais normale, quel soulagement! J’espère que tu le sais aussi. La statistique dit qu’un enseignement sur cinq (ou sur quatre, selon les sources) quittera la profession dans les cinq premières années... ce qu’on oublie, c’est que c’est 100% des enseignants qui auront des difficultés de gestion de classe en début de carrière!
Malgré cette année imprévue et par moments difficile, j’ai énormément appris sur moi et sur l’importance d’avoir un équilibre entre ma vie professionnelle et ma vie personnelle. Je ne suis pas seulement une enseignante et toi non plus. Nous sommes des femmes créatives et sportives, des femmes d’actions et de projets. Il est important de s’écouter et de prendre seulement la juste part de responsabilité de ce qui nous arrive au travail. Il ne faut pas non plus oublier que tous les domaines professionnels ont leurs conditions de travail difficiles. Parler avec des personnes de tous les horizons m’a permis de mieux comprendre que, dans la vie, rien n’est linéaire. C’est souvent les détours et les imprévus qui sont les meilleurs souvenirs du voyage. J’ai depuis longtemps énoncé mon désir de sortir de ma zone de confort... Ce n’est pas seulement de partir en voyage en sac à dos, sortir de sa zone de confort, c’est aussi changer de milieu de travail, quitte à y revenir, non pas parce qu’on ne sait pas ce qu’on ferait d’autre, mais parce qu’on sait que c’est là que se trouve notre place.
J’espère que cette lettre te fera un peu de bien. J’ai confiance que tu apprendras à te connaitre durant cette période difficile et que tu sauras profiter des réflexions que tu en tireras.
Aie confiance en tes qualités et prend le temps de te (re)découvrir.
Je t’aime et je pense à toi,
M.B.