Chaque matin, elle s’assoit à la même place. De la mienne, je l’observe. Je la trouve tellement belle et rayonnante, je ne peux m’empêcher de la dévorer de mes yeux timides. La tête penchée sur son grand cahier, les cheveux dansant sur son front, elle écrit, son café sur le bord de la table, ses crayons éparpillés autour d’elle. Elle rayonne malgré son air un peu sérieux et concentré et elle écrit, comme si le reste du monde n’existait pas. Je ne l’ai presque jamais vu lever les yeux. Elle doit être plongée dans ses pensées. Je me demande ce qu’elle écrit, je me demande ce qu’elle pense.
ELLE
Apocalypse matinale, tempête hivernale. Une tornade s’agite dans mon corps, ma tête, le vent m’agite et me tourmente, j’ai mal au cœur et au ventre, je souffre d’elle. J’ai le mal de ma mère. Prisonnière du vent, je tournoie, je m’agite, j’ai de la difficulté à respirer, l’air m’asphyxie au point de m’étouffer. Les murs de ma chambre m’entourent et m’emprisonnent dans leurs bras. Je dois sortir. Dehors. De l’air.
Je me retrouve ici. Dehors, je nage toujours dans mes pensées désordonnées. Elles me hantent et me torturent, ne me quittent pas d’une semelle. Je les jette devant moi, ces pensées lourdes, noircissant de rage noire les pages blanches de mon cahier, les remplissant de mots, de folie, d’incompréhensions, je les jette et les vomis ces choses que je n’ai jamais digérées et qui, depuis qu’elle est partie, me prennent à la gorge. Après, je ne vais pas mieux, mais je me sens quand même un peu mieux.
J’aurais besoin de fuir plus loin que le bout de la rue, pour y voir plus clair et pour m’échapper quelque peu de mon corps qui m’oppresse. Mais où fuir? Comment fuir ton propre corps et ta propre tête, quand ce sont ceux-là même qui t’emprisonnent?
LUI
Ses cheveux lui tombent doucement sur les épaules, son cou est pâle et dégagé. Elle est légèrement penchée et écrit doucement, si doucement qu’elle effleure à peine son papier. Elle est toujours perdue dans ses pensées. Sa peau est lumineuse, son corps est gracieux, sa taille est fine et accroche mon œil. Elle m’éblouit.
ELLE
Mon corps ne me supporte plus. Je me traîne et tire mon âme, je me torture et m’effondre. Le miroir avale mon corps et mon image se dissout à travers la surface tortueuse. Je vois une silhouette brisée, malade, trop maigre, floue.
Je suis mal et je suis malade. Je suis torturée d’elle, depuis qu’elle n’est plus là.
Je souffre et j’ai mal. Elle me manque.
LUI
Elle ferme doucement son cahier, et regarde autour d’elle, un vague sourire aux lèvres. Elle se lève et m’effleure de son manteau, doucement, puis me jette un rapide regard d’excuse et sort. Ce bref échange entre elle et moi me bouleverse complètement. Elle semble tellement calme et sereine, son contact me transmet un peu de son bonheur que j’envie jalousement. Elle m’intimide presque à présent. J’aimerais pouvoir lui parler. Si seulement elle savait.
ELLE
Je n’en peux plus. C’est assez pour aujourd’hui. Je dois sortir, je n’aime pas pleurer en public et je sens qu’une vague me soulève, proche, prête à se briser sur le rivage et à éclater en larmes tièdes. Je ne veux pas pleurer devant eux. De toute façon, ils ne comprendraient pas. Je dois sortir.
J’accroche ce garçon. Il m’observe, je m’excuse, je m’enfuis, il me suit du regard. Je ne sais pas s’il a vu mon visage effondré et la tempête qui y défile, l’orage dans mes yeux et la détresse dans mes lèvres tremblantes. Je ne sais pas s’il a pu sentir à travers ce bref regard toute la peine qui m’habitait et le désespoir que je cultive si fortement. Je cours dans la rue et je m’effondre, le cœur en miettes.
Sûrement pas.
M.G.-G.