J’ai mis la table comme si c’était une occasion spéciale.
C’est un peu le cas, non?
J’ai mis une nappe, ai sorti préalablement les couverts et les coupes.
Je ne sais toutefois pas ce que nous allons manger.
Enfin : comment nous allons apprêter les ingrédients.
J’ouvre le réfrigérateur : il reste trop peu pour faire une vraie recette, mais trop pour jeter sans gaspiller.
Tu m’as assuré que tu saurais quoi faire, que tu étais la championne des touskis.
Des ognons, des patates, quatre tranches de pain, un peu de fromage et toutes sortes de condiments! Beau défi!
Ah! J’oubliais, il y aussi du jus, ouvert depuis un mois déjà…
Ça fonctionne combien de temps les agents de conservation?
Tiens! Ça doit être toi à la porte.
Tu complimentes mon grand ménage… et m’offre «un coussin de voyage pour bien dormir dans l’avion».
Il n’y a qu’une dormeuse comme toi pour penser à ça. Ça me fait sourire.
Tu prends rapidement le contrôle de la cuisine. Tu as ton idée derrière la tête.
Non, je n’ai jamais goûté à des patatas bravas, mais ça a l’air bon!
Tu fouilles dans le garde-manger et trouve une gousse d’ail germée derrière les dernières conserves.
Pâte de tomate, crème de champignons et une bouteille de bouillon concentré.
Une soupe à l’ognon gratinée? Pourquoi pas!
Tu te mets à trancher les ognons. Évidemment, tu me refiles l’épluchage des pommes de terre.
Tu me racontes ta semaine, me partage toutes tes anecdotes; tu me gaves de paroles, je me remplis les oreilles.
Je vois, j’entends bien que tu évites le sujet de mon départ ou qu’un silence s’installe nous permettant d’y penser.
Je comprends.
Comme lorsqu’on faisait des «potions magiques» étant enfants, tu mélanges toutes les épices et les sauces qui restent dans le chaudron et dans le poêlon.
Je ne sais pas si cela va être bon, mais je te fais confiance.
Pour ce qui est de vider un frigo ou un garde-manger, tu es la meilleure!
Je me rappelle lorsqu’on habitait ensemble, tu récupérais tout, tout, tout, même les trucs passé date, au point d’en être parfois malade!
Heureusement, tu t’es améliorée sur ce point-là et conserve toujours ta créativité culinaire.
Ça commence à sentir bon et je commence à avoir faim.
Je sors le jus et le fromage en guise d’apéro. Tu me dis de garder le fromage pour le gratiné. C’est vrai, j’oubliais.
Comme toujours, je me porte volontaire pour trancher le fromage… pour en manger au fur et à mesure.
Tu m’arrêtes avant qu’il n’en reste plus. Tu me connais bien.
Tu me manqueras.
Tu es la seule à savoir que ce souper me convient mieux que n’importe quelle fête de départ.
Je n’aurais voulu passer la soirée avec personne d’autre que toi.
Nos soupers thématiques vont me manquer.
Cela va faire étrange de goûter à tant de nouvelles saveurs et combinaisons sans pouvoir les partager avec toi.
C’est toi qui m’as fait découvrir le plaisir de manger, de goûter à tout!
Moi qui étais si difficile et fermée à la nouveauté.
Il ne fallait pas que je déroge de mes habitudes alimentaires, qu’on omette ou rajoute un ingrédient à une recette!
Tu m’as eu à l’usure!
Toutes tes histoires épuisées, tu combles le silence en faisant jouer un peu de musique.
J’ai l’habitude de cuisiner (et faire la vaisselle surtout) avec une trame sonore. C’est une habitude que je t’ai transmise.
La soupe est prête, les patates presque.
Tu sers les bols pendant que je remue les croûtons avant qu’ils ne brûlent.
Ça va être bon!
Tu t’excuses de faire une mayonnaise à l’ail plutôt qu’une sauce aïoli.
Je ne t’en tiens pas rigueur.
Si ça n’avait été que de moi, ça aurait fini en grilled-cheese.
«Comme Maman nous faisait! Coupés en quatre, en triangles et non en carrés!»
Tu penses comme moi, petite sœur.
Tu me manqueras là-bas.
M.B.