Chère Marjolaine de presque trente ans,
Je relis tes réflexions avec un sourire en coin comme tu lisais certains passages de ton journal intime d’enfant. Tu te penses déjà rendue vieille alors que cinquante ans nous séparent! Profite de ta jeunesse, malgré ta maturité intellectuelle. Tu as toujours été raisonnable, tu avais même choisi cette caractéristique pour te créer un personnage de Monsieur-Madame lorsque tu étais avec Félix. Laisse-toi aller une peu, lâche prise, surtout en vacances et entre amis. Oui, tu t’es améliorée, tu as moins de préjugés, tu as accepté de sortir de ta zone de confort pour vivre certains voyages, mais tu restes la personne la plus routinière que je connaisse. Heureusement, Julien t’aime comme cela, car il l’est lui aussi… et l’est encore, je te l’assure!
Je sais que l’idée d’avoir un enfant t’as beaucoup fait réfléchir comme tu as beaucoup réfléchi à l’importance de ton travail dans ta vie. Un peu comme ta cousine Marie-Aude, tu as eu un enfant vers 35 ans après avoir connu des hauts et des bas dans ta recherche identitaire. La grossesse s’est bien passée, mieux que ce que tu craignais, tu es restée active, comme d’habitude, et jusqu’aux dernières semaines. L’accouchement en tant que tel fut long, mais rapidement oublié lorsque tu as vu le visage de ton fils, Léo-Paul. Et oui, en hommage au grand-père de Julien, l’idée de ce prénom vous est venue! Ses petits cheveux foncés, ses petits yeux bruns pers, sa chaleur et son odeur ont eu raison de toutes tes appréhensions. Tu es tombée en amour à nouveau. Ton entourage n’en revenait pas, toi qui avais hésité si longtemps à porter un enfant, tu incarnais ton rôle de mère avec un naturel inattendu. Ton congé de maternité, tu l’as pris au complet finalement, a passé plus vite que tu ne l’aurais cru bien entouré que tu l’étais par ta mère et celle de Julien. Noémi était rendu à son troisième enfant et Charlotte en avait déjà un, sans compter les amis de «la Poly» et du Collège, tu avais plusieurs modèles à qui poser tes questions et auprès de qui récolter les conseils. Dès que tu t’es sentie assez rétablie, tu as enfourché ton vélo, ton ami fidèle, et es partie faire un petit voyage en solo sur la Côte ouest américaine, laissant Léo-Paul aux bons soins de Julien. Lorsque tu es revenue, ton fils et ton conjoint t’ont retrouvée avec joie, mais tu étais encore plus émotive qu’eux. Tu avais eu besoin de ces vacances-là avant de retourner au travail et Julien l’avait bien compris.
Au travail, avec deux groupes au lieu de trois, les journées passaient vite, parfois trop, mais tu avais néanmoins hâte d’aller chercher Léo-Paul à la garderie. Tu étais si fier de lui, un enfant déjà si sage et allumé pour son âge. Il faut dire que tu passais beaucoup de temps à le stimuler et le gardais loin des écrans. Comme toi, il a marché rapidement, mais commencé à parler tard. La langue des signes lui permettait toutefois de communiquer ses besoins et ses désirs. Léo s’entendait bien avec sa cousine Brazeau et ses cousins germains Bach, c’est avec eux qu’il a prononcé ses premières phrases. Tu aurais accepté l'idée que ton enfant puisse être sourd, mais cela t’a rassuré de l’entendre parler enfin. À partir de trois ans, Léo est devenu un véritable moulin à paroles, au grand plaisir de Julien qui à partir de ce moment-là, a créé un véritable lien avec son fils. Tu t’arrêtais souvent pour les écouter bavarder de tout et de rien dans leur monde imaginaire. Cela te faisait sourire de les voir aussi heureux ensemble. Quand Charlotte t’a annoncé qu’elle attendait un deuxième enfant avec son Julien, tu t’es demandé si tu souhaitais en avoir un autre toi aussi. Finalement, puisque tu appréciais ton équilibre à trois, tu as attendu et à l’âge de quarante ans, une surprise a eu lieu. Malheureusement, étant donné ton âge, cette lueur de vie s'est éteint rapidement apportant à la fois une pointe de regret et de soulagement. Tu n’étais pas de celles qui attendent un signe, mais cette fois-ci tu en vis un. Julien, pour vous rassurer, s’est fait vasectomisé. Avant l’entrée en 1re année de Léo, vous avez fait votre premier vrai voyage à vélo en famille, en grande famille : il y avait tes parents, tes beaux-parents et même ta sœur et sa famille. Lentement, mais sûrement le clan Balthazar-Bouchard-Brazeau roulait ensemble. Tu as dit à Julien être comblée, que c’était parmi les plus beaux jours de ta vie. Tu avais raison, je te le confirme. (larmes aux yeux)
Dès l’entrée à l’école de Léo-Paul, le temps s’est mis à passer à vive allure! Toujours à temps partiel pour continuer de prendre du temps pour toi, pour faire du sport et faire un ixième programme universitaire, tu avais trouvé l’équilibre que tu souhaitais tant avoir même avec une vie de famille. Julien était rassuré et te rappelais le temps où tu hésitais à avoir un enfant, croyant perdre ton équilibre de vie. Par moment, tu te demandais si cela n’aurait pas été mieux d’avoir un enfant plus tôt, pour pouvoir en avoir un deuxième plus facilement, mais tu chassais rapidement cette idée en voyant le sourire édenté de ton fils arrivant avec un nouveau dessin qu’il venait t’offrir avec fierté. Vers l’âge de 8 ans, Léo a commencé à jouer à Donjons & Dragons avec vous, pas longtemps, mais quand même. Il n’avait pas beaucoup de patience, mais beaucoup d’imagination. Tu as finalement trouvé l’inspiration pour un projet de bande dessinée en l’écoutant créer un monde avec son père. Rien ne te rendait plus heureuse au quotidien que de voir tes deux hommes s’entendre aussi bien. Tu en parlais souvent à Charlotte, laquelle tu voyais encore régulièrement, aux deux semaines environ, parfois seulement toutes les deux ou en famille complète. Elle était et restera ta meilleure amie. (larmes aux yeux)
L’entrée au secondaire de Léo-Paul a coïncidé avec ta promotion au titre de conseillère pédagogique. Tu as recommencé à travailler à temps plein, mais tu as retrouvé tes soirs et tes fins de semaine. Tu t’ennuyais un peu des longues vacances d’été, mais pas autant que tu l’aurais cru, profitant amplement des tes fins de semaine de trois jours durant l’été et des vacances de la construction en commun avec Julien. Léo allait dans un camp de plein air pendant quelques semaines, puis passait quelques jours avec ses grands-parents des deux côtés et avec ses cousins et cousines. Il avait hâte de commencer à travailler comme sauveteur, tu lui en avais tellement parlé. Tu adorais aller à la piscine, faire du vélo et du jogging avec lui. Il n’avait pas toujours envie de partir, mais il était généralement content une fois dans l’action. Vous lisiez souvent côte à côte, cette activité te faisait fondre, surtout lorsque tu le voyais passionné par sa lecture comme tu l’avais été à son âge. Il n’avait pas beaucoup d’amis à l’école, mais il ne semblait pas trop en souffrir, car il avait ses cousins et les enfants de nos amis en guise de frères et sœurs. Il s’entend très bien avec ses quatre grands-parents, il était serviable et poli, très mature pour son âge. Il te remplissait de fierté.
LP a adoré être sauveteur, ce qui indéniablement l’a fait grandir rapidement en un été. Il n’arrêtait pas de parler de ses nouveaux amis de la piscine et des partys, ce qui te rendait nostalgique de ta propre adulescence. Tu allais le voir à la piscine avec tes parents, comme eux étaient venus souvent à Deschênes ou à Raymond au temps où Charlotte et toi étiez sauveteurs. Bien que ces moments te rendait heureuse, tu finissais toujours par pleurer en peu de nostalgie en pensant à ton passé de jeune adulte encore chez ses parents autant qu'à l'enfance terminée de ton fils. Ce dernier s’était toujours bien entendu avec tes parents et ces derniers l’aimaient beaucoup aussi. Ils avaient vieilli en santé, ensemble, finalement. (de vraies larmes)
Léo-Paul est parti vivre en appartement avec un de ses cousins, un fils de Noémi et Huy. Noémi et toi étiez restées proches au fil des années, gardant la tradition des «rendez-vous Bob Ross» avec Sandra. Vous ne saviez que faire de toutes ces toiles! Vos enfants riaient un peu de vous avec vos aspirations d’artiste, mais appréciaient au final cette touche de couleur dans leur garçonnière. Léo n’avait pas vraiment eu de copine avant de commencer à travailler dans les piscines. Il a fini par t’en présenter une, que tu as tout de suite aimée, car elle te ressemblait et rendait ton fils plus détendu. Tu aimais revivre à travers lui tes premiers émois. Il était amoureux, ça te rendait sereine et inquiète à la fois. Heureusement, Julien était là pour calmer tes réflexes protecteurs de mère et rappeler à votre fils de se protéger physiquement et psychologiquement.
C’est à peu près au même moment que tu as décidé de prendre ta retraite de conseillère pédagogique pour faire plusieurs voyages de vélo seule, en groupe ou avec Julien. Tu en as même fait un avec ta sœur et un autre avec tes deux hommes. Une fois la folie des voyages un peu calmée, tu as décidé de prendre des cours de peinture. Tu te disais que c’était aussi un bon moment pour enfin écrire un roman ou de te remettre à la bande dessiner, bref, de vivre ta carrière artistique, car après tout, tu n’étais pas encore vieille à presque 65 ans. Tu allais suivre les cours de Marion, professeure émérite à l’Université, comme auditrice libre pour le plaisir d’apprendre encore sur la littérature et le féminisme. Tu admirais cette femme qui était restée ton amie malgré sa vie à l’étranger. La retraite était ton nouveau projet qui te replongeait à tes loisirs et passions de jeunesse. Tu as même recommencé à faire de l’improvisation dans une ligue communautaire.
Ta vie, notre vie, est restée sensiblement la même avec des «extensions» qui ne l’ont qu’améliorée sans en changer les fondements. La vie ne fut certes pas linéaire, je ne t’ai relaté ici que le plus beau, pour t’encourager à ne pas avoir peur de l’avenir et de l’accueillir avec ses cadeaux qui se déguisent en vent de changement.
Avec beaucoup d’amour et de confiance en tes choix,
Marjolaine