Quand j'avais 5 ans, mes parents s'engueulaient aussi, mais c'était moins pire. Avant, j'pense qu'ils se cachaient pour le faire. Quand ma mère réalisait que je les entendais, elle revenait toujours vers moi, très calme, en chantant : «il était un petit navire, il était un petit navire, qui n'avait ja-ja-jamais navigué, qui n'avait ja-ja...» : c'était rassurant, j'aimais ça. Elle m'amenait ailleurs : dehors, dans ma chambre, dans le salon. Et après, elle retournait à la cuisine... Moi, je mettais mes mains sur les oreilles, très fort, et je continuais la chanson: j'voulais pas entendre ce qu'ils se disaient. Mes oreilles avaient mal, mon coeur aussi. Mais ça, les adultes, ça l'comprend pas!
Maintenant que j'ai 9 ans, c'est plus comme avant. Les choses ont changé. Ma mère s'en fout que j'écoute ou pas. Même que si je pleure ou que si je leur crie d'arrêter de s'engueuler, ça change rien. Rien. Quand j'en peux plus, et ça arrive souvent, trop souvent, je sors dehors et je vais jouer dans l'champ ou près du lac.
L'autre jour, j'ai décidé d'aller proche du lac, mais par un sentier différent. Ça faisait longtemps que j'étais pas allée faire un tour là-bas. Je chantais la mélodie de ma chanson préférée, celle du petit navire, tout en frappant les herbes à grand coup de bâton. De loin, je suis certaine que le bruit que ça faisait devait ressembler à celui d'un fouet : c'était violent! J'espèrais leur faire mal pour qu'elles comprennent à quel point, moi, j'avais mal. Mais, c'étaient juste des herbes : ça ressent rien des herbes. C'est pas grave, ça m'a fait du bien. Rendue au bout du sentier, j'ai été surprise: y'avait un canot. Je me suis souvenue du camp de jour : on en avait fait sur un lac, c'était vraiment l'fun. Y'a du monde qui avait choisi de faire du kayak, mais pas moi : j'avais trop peur de revirer à l'envers pis de rester prise sous l'eau. Non, le canot, c'était parfait.
Je regardais le canot, la fenêtre du chalet, de là je voyais mes parents en pleine crise. J'ai jetté un dernier coup d'oeil au canot : ma décision était prise. Je suis partie en canot, mais juste avant, j'ai pris le temps d'écrire une lettre à mes parents pour leur expliquer à quel point j'étais plus capable. À quel point j'avais envie d'être loin, loin. À quel point ils me rendaient malheureuse, en plus de l'être eux-mêmes. Je leur ai écrit que s'ils ne voulaient pas s'aimer, qu'ils étaient mieux de divorcer. Pis que comme ça avait l'air trop compliqué, j'allais le faire à leur place : je divorçais d'eux.
Ma lettre, je l'ai mise dans une bouteille, un peu comme le font tous les personnages perdus sur une île déserte quand ils décident de crier à l'aide. Mais moi, c'est différent. C'est pas que je n'ai plus espoir, non j'en ai encore un peu, mais au lieu de lancer la bouteille à la mer, je l'ai enterrée à moitié dans le sable. Elle était à mi-chemin entre le ciel et la terre. J'voulais être sûre qu'il la trouve.
Quand ça a été fait, j'ai pris le canot et je suis partie. J'étais entre ciel et mer, presque comme ma bouteille. J'savais pas où j'allais, mais je savais que c'était pour être mieux. J'ai mis le canot à l'eau, j'y suis embarquée et j'ai commencé à ramer. Le soleil était beau. Les oiseaux chantaient. Plus je m'éloignais, moins j'entendais mes parents. Tout ce que j'entendais, c'était ma voix.
- Il était un petit navire, qui n'avait ja-ja-jamais navigué...
Sica