Avant, j’étais du genre « beurre d’arachide Kraft ». Je pouvais rester plus de deux ans sur la tablette du garde-manger sans prendre une ride, sans me soucier des graines de toast ni des couteaux mal lichés pleins de confiture, sans virer dans le moisi ou dans le suicide organisé. J’avais la capacité d’une attente infinie. Et quand on m’ouvrait à nouveau le pot après plusieurs semaines ou plusieurs mois, que le gars passait à juste manger des céréales avec du lait, j’étais encore là, non seulement fraîche et dispose, mais enthousiaste comme au premier jour. La femme « beurre d’arachide Kraft » est à la merci de l’homme qui l’a acheté en coup de tête à l’épicerie pis qui l’a laissé sur la tablette le temps que ça y tente d’en manger. Pis que ça se peut qu’entre temps, il se parte un régime sans gluten ou sans agent de conservation, pis que la fille, ben, elle se beurre des toasts en attendant que le gars la rappelle. Pis que si c’est le cas, elle va quand même toujours dire oui.
Ça fait que dernièrement, j’ai décidé de changer pour du beurre d’arachides naturel. L’avantage, c’est qu’en plus de contenir que des pinottes et rien d’autre, le beurre d’arachides naturel se brasse à la première utilisation. Tu peux le regarder pendant un bon bout de temps, l’ouvrir quand t’es prêt et en profiter comme tu veux après. Ça fait que tu as en masse le temps d’y penser avant de faire un move. Après l’ouverture, il est bon pendant une couple de semaines, au froid, mais si on tarde trop à le finir, il devient dur pis c’est immangeable. Disons-le comme ça : si tu te lances, mon gars, t’as ben intérêt à le faire pour de vrai, parce que t’auras pas de deuxième chance. Le chronomètre est starté. La fille, elle attendra pas, et elle risque de passer à un autre appel. Tu la téléphones dans les jours qui suivent et t’es clair sur ce que tu veux. Après, ben c’est le délice prolongé ou la poubelle, mais au moins tu sais déjà que t’auras pas d’autre chance. Quand c’est pu brassable, c’est trop tard. Pis c’est pu super bon, de toute manière. À moins que t’aies un sacré bon couteau, une technique exquise ou bien de très très bonnes excuses. Moi je peux dire que le miel ajouté au beurre d’arachides peut parfois ramener la texture lisse et agréable des premiers jours, mais d’autres fois, elle ne fait que souligner encore plus l’incapacité du gars à organiser sa vie pis son frigo. Ça fait ben pitié. Pis ce qui est ben ben plate, c’est que nous, souvent, on en vient à regretter l’époque du Kraft. On pense qu’on a manqué sa chance, qu’il y en aura pas d’autres, pis que ça aurait pu être différent si on avait pu attendre encore un peu. On devient un peu pathétique, mais ça dur jamais ben longtemps.
Ça fait que moi, je suis du type « beurre d’arachide naturel ». Je ne suis pas pressée sur l’ouverture, mais j’aime pas ça me faire niaiser pendant des semaines une fois que t’as enlevé la pellicule de plastique pis que tu m’as mise au frigo. Ma patience a une date d’expiration. C’est de même. Au moins, je ne suis pas comme d’autres, je ne suis pas de la confiture, qu’on a en tellement de sortes différentes qu’on sait pu quelle choisir, pis qu’au fond, on sait plus trop parce qu’elles se ressemblent toutes. Ni du beurre de Tahini qui, on me l’a appris, est meilleur si tu le gardes immobile la tête en bas, en plus que tu t’en sers tellement pas souvent que ça prend le bord de la poubelle au bout de deux ans de bonnes intentions. Et je ne suis pas non plus du yogourt à la vanille, qui passe date tellement rapidement qu’il fait que tu conclus ça avant que des petits boutes bleus poilus apparaissent sur le dessus quand tu l’ouvres. Une semaine, pas plus. Après, t’en achètes un autre pot.
Mon ex est stické sur le Kraft et il comprend pas que j’ai fait un virage santé pis que ça sert à rien de me tenter à redevenir une belle pinotte éternellement disponible. Je lis même plus ses courriels de relance qu’il m’envoie de temps en temps, je les jette direct à la poubelle, comme ma dernière crème sûre over-surie que j’ai balancée la semaine dernière parce que j’avais trop tardé à me refaire une recette de nachos. Change de recette, mon grand, moi je reviens pas en arrière.
Pis je te parlerai même pas du chasseur de viandes en épicerie qui avait les yeux plus gros que la panse, qui s’achetait une trop belle variété qu’il avait de la misère à finir après. Ou de monsieur-j’ai-pas-une-cenne-faque-je-me-nourris-avec-des-produits-no-name même si on sait tous que le beurre d’arachides de cette marque-là, y goûte rien. Ou de l’éléphantesque-pressé qui s’est servi à même le pot avec ses mains sales, ou de celui qui aurait tellement voulu quelque chose de plus relevé que simplement du « naturel ».
Pis y’a toi, accro au Nutella, qui lève le nez sur mon petit beurre d’arachides bio. T’aimes le goût de la noisette et la consistance lisse, mais mon pauvre, tu sais pas ce qu’il y a là-dedans. Le gros sucre, le gras, pas de nuances, pas raffiné. Mais ça sert à rien que je te le dise maintenant. Tu reviendras me voir dans dix ans, les yeux pleins d’eau pis le cancer dans la peau, j’aurais rien d’autre à ajouter que « t’as ben couru après à en manger tout le temps à la petite cuillère ».
Ça fait que j’ouvre mon garde-manger, pis je suis ben découragée. Peut-être que je devrais aller voir du côté des fruits, tiens. Des bananes, c’est ben bon avec du beurre de pinottes.
M.G.-G.