- Si ça peut te consoler, il n’était pas de bonne compagnie.
Il ne comprit pas tout de suite qu’elle-aussi faisait de l’auto-stop.
- Tu te rends où comme ça?
- À Tremblant. Toi?
- Saint-Agathe.
- On va peut-être faire un bout ensemble alors, ajouta-elle avec un sourire qu’il lui rendit.
Il la regarda avec plus d’attention, la trouvant plus jolie et moins étrange à chaque seconde. Elle avait un style original avec sa tuque de hibou, son foulard à pompons et son manteau camouflage de chasse. Il essayait de ne pas la dévisager lorsqu’il remarqua qu’elle avait un œil brun et l’autre bleu. Elle lui sourit encore comme si elle savait ce à quoi il pensait.
- Tu n’as pas l’air d’un «pouceux» toi non plus.
Il avoua qu’il était drôlement bien habillé pour cela avec son manteau du dimanche, ses souliers vernis et son sac de hockey.
- Un futur marié en cavale? se risqua-t-elle avec humour.
- Si seulement! admit-il en riant non sans une pointe de tristesse.
L’attente en bord de la route étant propice aux confidences, il lui raconta sa mésaventure du matin : sa copine, son ex-copine, l’avait laissé sur le bord de la route après sa partie de hockey. Il ne voulut pas entrer dans les détails plus par culpabilité que par chagrin : cela faisait quelque mois qu’il vérifiait «si l’herbe était plus verte chez la voisine» et la dite copine avait fini par s’en apercevoir.
- Et tu retournes à Tremblant rejoindre ta maitresse?
Quel culot! Il regretta tout de suite de s’être ouvert le cœur. Pour qui se prenait-elle?
- Je m’en vais chez mes parents, parce que, visiblement, je ne peux pas rentrer chez moi! se défendit-il avec hargne.
Le sourire moqueur de la jeune femme disparut aussitôt. Elle s’excusa puis s’éloigna en longeant la route.
Le temps sembla s’arrêter. Pas une voiture en vue.
Il rumina, puis réfléchit et finalement se rendit à l’évidence que sa réaction était exagérée. Le soleil baissait tranquillement, il commençait à faire froid. Il balança son sac sur son épaule et marcha dans la direction de sa compagne de fortune.
- Pardon, tu ne pouvais pas savoir…
- Savoir que ça n’avait pas été concluant avec ta maitresse…?
Il n’en revenait pas! Cette fille était-elle une télépathe ou une détective privée?
«Non, juste une fille blessée», répondit-elle seulement par un regard triste.
Ils marchèrent côte à côte en silence d’abord, puis échangèrent des banalités sur la météo et sur leurs emplois respectifs. Lui, comptable, elle, informaticienne, les deux étaient malheureux dans leur travail… Ils commencèrent à philosopher sur la recherche du bonheur et la pression des conventions sociales. Au fil des confidences, il crut comprendre qu’elle sortait d’une relation amoureuse difficile, qu’elle n’avait pas eu de nouvelles de sa famille depuis des années, qu’elle risquait de perdre son travail parce que les affaires de la compagnie allaient moins bien…
Le soleil était caché derrière les montagnes depuis longtemps lorsqu’ils atteignirent un motel. Il proposa de payer une chambre à partager. Elle accepta sans douter une seconde qu’il ait des arrières-pensées. Après plus de deux heures à marcher dans le froid, une douche chaude et un souper n’étaient pas de refus! Elle commanda de la pizza et ils continuèrent à parler tard dans la nuit comme des amis de toujours. Ils avaient remonté jusqu’à leurs souvenirs d’enfance lorsqu’ils réalisèrent l’heure tardive qu’il était et qu’il leur fallait dormir. Ils ne se sentirent pas du tout mal à l’aise de dormir ensemble, ne se considérant plus comme des inconnus. Ce n’est qu’à la lumière du jour qu’ils furent gênés de leur proximité. Ils s’habillèrent avec pudeur. Il ne s’était rien passé de charnel, mais ils avaient l’impression d’être néanmoins allé plutôt loin. Il avait l’impression de s’être dénudé avec elle comme avec aucune autre, justement parce qu’il n’y avait aucune attirance physique. Elle avait l’impression de s’être révélée avec lui comme elle l’avait fait avec tant d’autres, excepté que cette fois, elle s’était respectée et n’avait pas essayé de le séduire. Ils quittèrent le motel et y laissèrent leur malaise. Ils reprirent leur poste au bord de la route, fatigués, mais soulagés comme s’ils sortaient d’une thérapie. Comme ils avaient épuisé leurs sujets de conversations sérieuses, ils se racontaient des blagues. Ils s’amusaient tellement qu’ils oublièrent ce qu’ils attendaient lorsqu’un camion arrêta à leur hauteur.
- Je n’ai qu’une place, s’excusa le conducteur en désignant sa petite cabine déjà encombrée.
- Les dames d’abord, offrit-il avec un sourire charmeur.
- Non, merci… Je préfère attendre.
- Tu es certaine? On ne sait pas quand le prochain arrêtera…
- Oui. Au pire, on marchera! décida-elle en lui donnant un coup d’épaule.
Le camionneur regarda le drôle de couple qu’ils formaient ce qui les fit rire comme de vieux copains.
- Tu penses à la même chose que moi? se risqua-t-il.
- Et si on allait déjeuner au motel? La route ne filera pas sans nous!
M.B.