M.B.
J’espère la pluie. Une pluie froide, automnale. J’espère la grisaille humide qui traverse les vêtements et rentre jusqu’aux os. J’espère le frisson d’inconfort de mes pantalons qui collent sur mes cuisses et de mes bas trempés. J’espère manquer l’autobus, qu’elle passe trop tôt ou trop tard pour que j’attende au bon moment à l’arrêt au coin de la rue. Pour qu’au moment où ta voiture s’approcherait de moi, le feu passe au rouge. Pour qu’au moment où tu attendrais, tu tournerais la tête dans ma direction et remarquerais que je suis là, trempée à lavette, sans parapluie. Tu baisserais alors ta fenêtre et me dirais de monter. Puisque j’aurais «oublié» mon parapluie, j’aurais le droit d’accepter ton invitation. J’aurais à peine le temps de te remercier et d’attacher ma ceinture que le feu redeviendrait vert. On commencerait à parler de tout et de rien, en commençant pas le travail, notre point en commun, puis de nos projets pour la soirée, notre point de divergence. Tu me dirais que tu sortirais avec des amis, que tu irais manger chez tes parents ou chez les parents de ta blonde, alors, que moi, je n’aurais rien de prévu. J’espèrerais que tu m’invites à t’accompagner, tout en sachant que ce serait inconcevable. J’espèrerais qu’on n’arrive jamais à destination pour qu’on continue à se parler, dans cette bulle où, parce qu’il pleut et que je n’avais pas de parapluie, où, parce que la lumière était rouge au moment où tu passais par là, tu as remarqué ma présence. J’espèrerais qu’au moins notre conversation dure même rendus chez moi, car nous aurions tant de choses intéressantes à se dire, particulièrement intéressante parce que nous serions seuls dans ta voiture. Le fait que ce soit la tienne ajouterait au charme de la situation, surtout si c’est une belle voiture. La musique, assez forte, pour combler les silences gênés créerait aussi une atmosphère complice. S’il commence à faire nuit, cela serait encore mieux, car j’aurais alors le droit d’être fatiguée et de dire librement ma pensée. Je te dirais que je pensais souvent à cette fois. Cette fois où il ne s’est rien passé, mais qu’on s’est quand même bien amusé. Cette fois où il n’y a rien à redire, sauf que nos sourires en disaient plus longs que d’habitude. Cette fois où on n’a rien fait de mal, excepté échanger des regards complices et provoquer des rapprochements alors que nous avions tout l’espace pour aller librement. Je te dirais donc que je pensais souvent à cette fois-là. Puis, tu dirais quelque chose de coquin, à la blague avec un fond de vérité, comme tu le fais toujours. Mais l’humour ne te sauvera pas cette fois-là. Je te poserais la question de manière détournée pour ne pas me compromettre. Selon ce que tu désires, tu répondras franchement ou tu feras celui qui n’a pas compris. Il y aurait soixante-quinze pourcent de chance que je sois déçue, mais c’est le vingt-cinq pourcent qui reste qui m’intéresse. Peu importe le fil de la discussion, nous finirions par arriver à bon port et je devrais quitter l’abri de ta voiture, le cocon d’intimité que je viendrais à peine d’instaurer. Je prendrais le temps d’encore te remercier, de te dire au revoir, peut-être oserais-je te faire la bise. Si j’ose, il y aurait alors soixante-quinze pourcent de probabilité que je t’embrasse à ce moment et vingt pourcent de probabilité qu’il ne se passe rien. Et le cinq pourcent restant? C’est le cinq pourcent de probabilité de pluie annoncé aujourd’hui. Le cinq pourcent que ce soit toi qui fasses le premier pas.
M.B.
0 Commentaires
Laisser un réponse. |
PLUMES ACTIVES
Marion G.-G.
Marjolaine B.
AUTRES PLUMES
Kevin O.
Archives
Mai 2020
|