Sa petite fille avait peut-être six ans. Son père était inconnu au village. Elle disait souvent qu’elle avait rencontré un homme sur la route, un homme bon, mais qui avait été appelé par la mer. Il lui avait promis de revenir, disait-elle à tout le monde. Et quand il serait là, ils vivraient ensemble tous les trois, avec l’argent qu’il aurait gagné à travailler sur son bateau. Le village acquiesçait, mais les gens se doutaient tous de la vérité. Elle avait été abandonnée. Son amour n’avait pas été réciproque. Elle était seule.
Il y avait toujours eu Thomas, aussi. Le fils du boulanger, qui s’occupait de pétrir la pâte du pain tous les matins. Il l’aimait bien, elle, et sa petite fille aussi. Il la taquinait, lui mettait de la farine sur le nez. La petite rigolait, elle aussi. Mais il fallait croire qu’il n’osait pas. Franchir le périmètre de la maison de la fille de la folle pourrait être mauvais pour le commerce de son père. Même si cette petite folle était, à ses yeux, terriblement jolie. Sa longue silhouette filiforme, ses cheveux blonds dorés, ses petits seins, sa peau pâle. Elle lui plaisait, cela ne faisait aucun doute. Mais il ne faisait rien. De toute façon il y avait la belle Rosalie qui lui tournait autour, aussi.
Un jour, personne ne se rappelle exactement quand, on avait arrêté de la voir. Son jardin avait flétri, ses fleurs et ses plantes médicinales qu’elle cultivait avaient été laissées à l’abandon. Elle ne sortait plus chercher son pain, ne gambadait plus avec sa petite fille sur les chemins de campagne, ne jouant plus à se courir après ni à rigoler. Après des semaines, on avait arrêté de se poser des questions. Certains disaient qu’elle était partie sur un coup de tête à la découverte du monde, qu’elle avait laissé en plan son ancienne vie dans le village pour s’enfuir sur les routes. D’autres pensaient qu’elle était allée rejoindre sa mère, la vieille folle. Qu’elle s’était terrée, comme elle, dans la forêt pour ne plus avoir à croiser personne, jamais. Mais ce que la plupart du monde pensait, c’est qu’elle s’était juste laissée mourir de chagrin, seule dans sa petite maison. Personne ne savait vraiment, personne n’osait aller voir. Et personne n’osa demander ce qui avait bien pu arriver de sa petite fille.
Elle était peut-être morte, la petite. Elle était peut-être partie, aussi, voyant sa mère morte qui ne pouvait plus rien pour elle. Oui, elle était sûrement partie. Rejoindre son père. Sans demander l’aide de personne. On se doutait bien que cette petite savait se débrouiller avant l’âge, on y avait toujours cru. Qu’elle était étonnante, la petite! Tellement qu’il ne servait à rien d’aller à sa recherche, elle devait être déjà bien loin. Si débrouillarde pour son âge. Une chance pour elle, elle aurait pu finir comme sa mère.
M.G.-G.