Gabriel était un célibataire endurci. Aventurier, bohème, il accumulait les conquêtes insatisfaisantes, les femmes collantes et dépendantes, celles qui voulaient organiser sa vie pour les trente prochaines années et celles qui lui demandaient dès le premier soir s’il voulait des enfants. Et si certaines avaient pu passer le test des trois premiers mois, il était inévitable que tout tournait au vinaigre lorsque le petit objet innocent apparaissait dans la salle de bain.
Ce n’était pas la chose en tant que telle. Mais un raz de marée accompagnait inévitablement le dépôt de la brosse à dents sur le bord du lavabo, comme si l’objet éclatant de couleur jaune ou rouge annonçait l’arrivée des orages, les prédisait même. La brosse à dents était dangereuse. Car Kim avait laissé chez lui un thermos pour son café le matin, un livre près de son lit, une paire de souliers. Pour sa brosse à dents, cela avait pris un peu plus de temps. C’est qu’elle traînait ce petit objet utile dans une belle trousse au fond de son sac, la ramenait à chaque fois qu’elle venait chez lui. Elle ne la laissait pas. Et puis, un jour, elle le fit.
Ce n’était pas que Gabriel avait peur de s’engager. Ce n’était pas qu’il n’était pas amoureux de ces filles trépidantes et franchement intéressantes dont il avait fait la connaissance quelques mois auparavant ni qu’il voyait dans le simple geste de laisser la brosse à dents l’arrivée de la tyrannie féminine et la fin de sa liberté masculine. Ce n’était pas ça. Ce n’était pas non plus qu’il ne veuille pas officialiser sa relation ni éviter les promesses non tenues.
C’était une malédiction. Tenace, en plus, elle s’acharnait sur lui.
La journée s’était mal passée. Il ne savait plus où il en était. Soudainement, il doutait. Un côté de Kim qu’il aimait lui apparaissait d’une façon différente. Et il se rendait compte tout à coup que cela faisait une semaine que tout dégringolait, qu’il luttait pour garder tous les morceaux d’un vase ficelé ensemble. Ça ne marchait plus et il ne comprenait pas pourquoi. En quelques jours, la vérité l’avait frappée de plein fouet, et il était devenu méfiant, fermé, désagréable.
Il revint le soir, fatigué, triste, quelque peu désorienté. Et c’est là qu’il la vit, innocente, légère, menaçante. C’était clairement elle.
La brosse à dents.
M.G.-G.