Elle me l’avait annoncé la veille de son départ. Déjà, je craignais le pire, et j’étais déjà un ours en peluche qu’on laisse de côté lorsqu’on fait sa valise, parce qu’il ne rentre pas et que de toute façon, on ne veut pas de lui.
Elle m’aurait dit qu’elle partait lors de l’achat de son billet, il y a deux mois, elle m’aurait dit qu’elle était excitée de partir, mais triste de me laisser ici, elle aurait dit qu’elle m’enverrait des cartes postales et qu’on s’écrirait souvent par courriel… mais à quelques heures de son départ, elle ne me racontait que la même chanson.
J’ai besoin de changer d’air, de voir le monde, de faire le point.
Elle m’aurait dit qu’elle partait quelques semaines, quelques mois, je l’aurais attendue à l’aéroport avec impatience, j’aurais fait le ménage de l’appartement, j’aurais terminé la série télé qu’elle détestait écouter, j’aurais pris du temps pour lui écrire tout ce que j’aimais d’elle. Mais elle partait pour un temps indéterminé.
Un an. Ou deux. Ou trois. Ça dépendra de ce qui se passe.
J’ai l’air fin, moi. Je me fais planter là, sans réponses à mes questions, juste des incertitudes sur ma vie pour les une, deux ou trois prochaines années. Un vide. Du néant.
Elle laisse son ordinateur ici. Trop encombrant. Et là où je vais, il n’y aura probablement pas beaucoup de connexion internet. Je voudrais lui écrire quand même. Elle me répondra quand elle pourra. Je n’aurai pas beaucoup de temps.
J’aimerais aller la rejoindre au bout d’un certain temps. Pas longtemps, mais juste pour la voir. Couper la poire en deux. Passer du temps ensemble. J’ai besoin de vivre ce périple par moi-même.
Et quand je lui demande si ce départ soudain signifie la fin de nous deux, elle ne me répond pas. Ou plutôt, elle répète la même chose.
J’ai besoin de changer d’air, de voir le monde, de faire le point. Je vais revenir.
C’est comme si elle me disait de l’attendre. Et en même temps de ne pas le faire, de la laisser tomber pour ne pas qu’elle ait à le faire elle-même. C’est comme si elle me gardait au « cas où », et je me transformais en kit de survie, en plan de secours, en poutre de soutien.
Tu peux m’attendre, je vais revenir. Mais je ne sais pas quand.
J’en ai les bras qui m’en tombent, le cœur qui s’arrache, la tête qui explose. Ma vie s’affale en morceaux et éclate à mes pieds, se fracasse comme un vase qu’on laisse tomber par exprès. Oups. Ça sonne faux, mais la blessure est vraie. J’ai mal à ma vie.
Ses yeux qui me donnent tout, son corps qui me refuse tout, elle incarne à la fois l’espoir et l’incertitude. Elle m’échappe et en même temps, elle s’agrippe de toutes ses forces à moi, je sens ses ongles me tordre les poignets et me couper la peau du cou.
Quoi faire.
Elle quitte, son sac sur le dos. Elle m’embrasse comme si elle voulait que je sois encore là à son retour, comme si elle était prise d’un triste départ obligé. Son baiser voulait dire
« attends-moi ». Surtout, ne t’en va nulle part. Je vais revenir. Je t’aime. Mais elle ferme la porte comme quelqu’un qui dit adieu, qui tourne la page, qui ne reviendra pas. Le silence se fait dans l’appart. Je suis seul.
Les pièces sont trop grandes et soudainement trop vides. Je marche de long en large et je remarque ce qu’elle a laissé, ou ce qui n’est plus là. Des traces d’elle qui traînent comme une promesse de retour, mais qui ne font que marquer un territoire abandonné par un animal qui ne reviendra pas.
Quoi faire. J’ai le choix. Je peux attendre.
Mais ses yeux amoureux sont fuyants. Elle s’accroche à moi comme une bouée de sauvetage, me prie de rester là pour ne pas qu’elle se noie, la bouche ouverte haletante avalant des tasses d’eau à chaque nouvelle vague.
C’est comme si elle m’avait dit de l’attendre. Mais c’est tout comme si tout son corps me criait, au contraire, de la laisser aller, de la laisser tomber. Il me supplie de la lâcher pour qu’elle se noie.
Lâche.
Elle ne reviendra pas.
Ça me prend une semaine pour ramasser mes affaires. J’appelle Max pour qu’il m’accueille chez lui un moment. Dès demain, je me cherche un nouvel appart.
M. G.-G.