MARYSE : Bien non, ce ne doit être qu’un petit animal qui fait bouger les buissons.
ÉLÉONORE : Non, je te le dis! J’ai vu une silhouette disparaître derrière la colonne de rosiers!
MARYSE, exaspérée : Restez au lit Éléonore, je vais aller voir.
Maryse sort de la chambre par la porte-moustiquaire qui donne sur le jardin, fait mine de chercher puis rentre.
ÉLÉONORE : Je sais que je ne devrais pas avoir peur…
MARYSE : Vous voulez que je ferme la porte et la fenêtre?
ÉLÉONORE : Non, non, surtout pas! Je vais me sentir enfermée!
MARYSE, en remontant les couvertures d’Éléonore : Bon, maintenant dodo! Je vais être à côté s’il y a quoique ce soit.
ÉLÉONORE : Je peux… avoir Monsieur Chien pour dormir?
MARYSE, lui tendant une peluche qui était au pied du lit : Bien sûr. Allez, faites de beaux rêves!
Maryse éteint puis sort de la chambre doucement.
Éléonore essaie de trouver le sommeil, en vain.
Bruit de gravier.
ÉLÉONORE : Qui va là? Je sais qu’il y a quelqu’un!
ÉMILE, chuchotant : C’est moi, Émile!
Éléonore glisse hors du lit et trottine jusqu’à la porte-moustiquaire.
ÉLÉONORE, chuchotant, lui ouvrant la porte : Mais qu’est-ce que tu fais ici à cette heure? Tu sais que tu m’as fait peur!
ÉMILE, chuchotant : Je suis désolé, mais je devais absolument te voir! Quelque chose de grave se prépare.
ÉLÉONORE, chuchotant : Quoi? Mais parle!
ÉMILE, chuchotant : Ils vont renvoyer la moitié du personnel, dont Maryse.
ÉLÉONORE, tout haut : Quoi! Mais comment, pourquoi?
ÉMILE, chuchotant : Pas si fort! La maison tient à peine debout, les visiteurs sont plus rares que jamais et nous sommes de moins en moins de pensionnaires…
ÉLÉONORE, chuchotant : Il y a autre chose qui m’inquiète… Cela faisait quelques semaines que Antoine était malade et, hier, il a disparu!
ÉMILE, parlant haut : Tu crois… qu’ils l’ont transféré à l’hôpital?
ÉLÉONORE : Peut-être… mais en même temps, ils nous auraient prévenu pour qu’on aille lui dire au revoir.
ÉMILE : Il est peut-être… mort?
ÉLÉONORE : Ne dis pas des choses pareilles! Et pourquoi nous l’aurait-on caché? Lorsque j’ai demandé à Maryse, elle m’a dit qu’il était parti en vacances dans sa famille, mais je ne le crois pas!
ÉMILE : Antoine a peut-être juste oublié de nous dire au revoir…
ÉLÉONORE : Toi, même avec ton Alzheimer, tu serais capable d’oublier de me dire au revoir?
ÉMILE : Bien sûr que non! Tu serais la première… et la dernière que je préviendrais, car je viendrais t’embrasser deux fois plutôt qu’une!
ÉLÉONORE : Oh, le beau parleur! Je ne te crois pas. Je t’ai bien vu parler avec Jeanne aujourd’hui, tu lui racontais quelque chose qu’elle semblait bien trouvé drôle!
ÉMILE : Jeanne est un bon public, c’est tout. Et puis, elle est trop vieille pour moi : elle a quatre-vingt ans!
ÉLÉONORE : Ouais, c’est ça…
ÉMILE : … Ne serais-tu pas jalouse, Éléonore?
ÉLÉONORE : Moi? Peut-être bien.
ÉMILE, se rapprochant : Tu n’as pas à l’être… parce que c’est toi que je suis venu voir en pleine nuit, pas Jeanne.
ÉLÉONORE : Oh le charmeur!
MARYSE, hors champ : Éléonore! C’est l’heure de dormir, éteignez la télévision!
Éléonore se dépêche de se remettre au lit, tandis qu’Émile essaie de se cacher dessous.
ÉLÉONORE : Ah, oui, oui… j’éteins.
ÉMILE, chuchotant, à côté du lit : Elle n’entre pas? Je peux me relever?
ÉLÉONORE, chuchotant : Oui, sors!
ÉMILE, chuchotant, se relèvant péniblement, s’assoyant sur le lit : Je dois retourner à ma chambre avant qu’on ne remarque mon absence… mais j’ai envie de rester avec toi.
ÉLÉONORE, chuchotant : Tu ne peux pas…
ÉMILE, chuchotant : C’est bien pour cela que j’ai envie de rester.
ÉLÉONORE : Oh Émile!
Émile s’installe sur le lit par-dessus les couvertures. Les deux, silencieux, regardent le plafond.
ÉMILE : Tu t’ennuies de ta famille?
ÉLÉONORE : Oui… des fois, j’ai l’impression qu’ils m’ont oublié et je me sens orpheline. Toi?
ÉMILE : Non, pas vraiment… car ma famille, c’est maintenant les gens d’ici.
ÉLÉONORE : Je vais aller chez mon fils aux Fêtes…
ÉMILE : Chanceuse… moi, je vais rester ici.
ÉLÉONORE : Tu pourrais venir avec moi…
ÉMILE : Oh, je ne veux pas déranger, je vais vous laisser entre vous…
ÉLÉONORE : Mais tu es aussi de ma famille.
ÉMILE : C’est gentil…
Silence. Éléonore se tourne d’un côté et Émile, de l’autre.
ÉMILE, chuchote : Bonne nuit…
ÉLÉONORE, chuchote : Bonne nuit Émile.
Silence.
ÉMILE, chuchote : Et Maryse? Si elle nous trouve couchés dans le même lit?
ÉLÉONORE : Elle ne dira rien. Elle dit qu’il n’y a pas d’âge pour aimer.
Silence.
Émile se retourne et enlace Éléonore en cuillère.
M.B.