Elle regretta de ne pas avoir choisi sa planche à voile.
M.B.
Modestes plumes |
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Elle avait pris l’itinéraire habituel, celui qui longeait la falaise direction ouest. Les vents étaient particulièrement favorables ce soir-là et les vagues miroitaient le soleil déjà bas à l’horizon. À l’augmentation de la tension des cordes, elle plia les genoux pour profiter de l’élan éolien. Le saut ne fut pas très haut, mais assez pour décharger une nouvelle dose d’adrénaline. Le ciel peignait la mer de lumière et d’ombre. Quelques nuages tachetaient le tableau et tiraient la nuit avec eux. C’était une soirée aux conditions idéales, elle se sentait vivante comme jamais, à la fois à la merci des éléments et en symbiose avec eux. Comme elle avait cette pensée, le vent changea brusquement. Elle ne lâcha pas la bride de son cerf-volant malgré la douleur dans ses bras. Elle transféra son poids vers l’arrière, à nouveau en contrôle. La manœuvre l’avait toutefois fait dévier de sa trajectoire initiale , la rapprochant dangereusement de la côte. Elle tenta, non sans une petite nervosité, de reprendre en main sa voilure, regrettant de s’être aventurer seule si loin dans la baie. Elle songea que son partenaire de voile devait commencer à s’inquiéter. Enfin, les courants aérien et marin furent à nouveaux cléments et lui accordèrent un bref équilibre. C’est à ce moment qu’elle remarqua deux silhouettes au sommet de la falaise, dont l’une qui se tenait dangereusement près du gouffre. Elle plissa les yeux pour mieux voir, aveuglée par le couchant. Était-ce un rendez-vous amoureux ou, au contraire, un règlement de compte? L’une des ombre s’effondra sur elle-même alors que l’autre fut projetée (ou se laissa tomber) dans le vide! L’Icare remua a peine les membres dans sa chute et disparu dans l’eau tête première. Impuissant témoin, son sang se figea: que faire? Le malheureux resurgit des flots, miraculeusement épargné des récifs immergés. Sans réfléchir, la surfeuse dirigea sa voile et sa planche dans la direction du rescapé. Elle ignorait comment elle lui porterait main forte, mais devait tenter quelque chose, quitte à le laisser sur place pour aller chercher de l’aide. En s’approchant, elle l’interpela en français puis en anglais, sans succès. Elle ne pouvait guère ralentir à sa hauteur, sans que son cerf-volant ne perde la sienne. Elle réalisa qu’elle n’était définitivement pas équipée pour effectuer un sauvetage. Elle pensait rebrousser chemin pour aller prévenir les plaisanciers les plus proches lorsque la victime appela à l’aide dans une langue qui lui était inconnue. Elle ne pouvait aller l’aider sans mouiller sa voile et condamner ainsi son seul moyen de regagner la mise à l’eau d’où elle venait. Elle était prise entre ciel et mer, entre le cœur et la raison; lui, entre la vie et la mort.
Elle regretta de ne pas avoir choisi sa planche à voile. M.B.
1 Commentaire
Kevin
8/31/2014 12:26:29 pm
« Le saut ne fut pas très haut, mais assez pour décharger une nouvelle dose d’adrénaline. Le ciel peignait la mer de lumière et d’ombre. Quelques nuages tachetaient le tableau et tiraient la nuit avec eux... » J'adore! Inévitablement je revois le tableau sur lequel je suis tombé l'été dernier : plusieurs braves pratiquant le kite surfing à Baie-Jolie, en bordure de Trois-Rivières et d'un orage violent — l'un des spectacles les plus enlevants qu'il m'ait jamais été donné de voir. Merci pour ce texte. Tu me ramènes à l'émerveillement.
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