Elle va quelque part. Assurément, sinon, marcher à une telle vitesse, si décidée et si vive, n’aurait aucun sens. Le manteau relevé, le foulard remonté jusqu’au nez, elle ne peut qu’être attendue quelque part, légèrement pressée. Pourtant, alors que ses jambes mènent le pas, son visage, lui, semble perdu, fatigué, éteint. Dans le fond, elle ne va nulle part, elle se cache plutôt, et c’est sous son foulard qu’elle se capture. L’été est fini, l’automne n’est pas encore là. Le deuil et la nostalgie de ce passage lui font mal au cœur, la font tourner en rond dans ces rues à l’apparence estivale si on les regarde de l’intérieur de chez soi, mais automnale par le frisson qui vous prend lorsque vous mettez le nez dehors. C’est fini, ce ne sera plus pareil à présent.
C’est que la différence est si mince entre aller et partir, entre aller et fuir, cette dernière petite chose qu’il est possible de faire si doucement ou si violement, par l’arrière, en douce. La fuite n’y paraît d’abord rien, puisque les jambes font bonne figure et qu’elles agissent en dissimulant le subterfuge. Et il faut dire qu’il n’est pas rare de la voir marcher si vite. Elle n’est pas du tout le genre de fille qui traîne, au contraire, elle avale les pas et le temps en même temps, devançant celui-ci de sa démarche assurée, dans un manège aussi éclatant qu’épeurant. Mais là, c’est différent. Rester en vol, voilà l’astuce. Ne pas s’arrêter, sinon… le gouffre. Ou l’étang glacial de cet entre-deux saisonnier.
Ne pas s’arrêter. Marcher vite pour fuir l’immobilité. Capturer ses pensées en les étourdissant, en les fatiguant. Comme un petit chien qu’on promène pour l’épuiser. Rester en vol. Ne pas s’arrêter, surtout.
L’automne arrive bientôt. Il faudra s’y faire. Elle ne peut pas marcher de cette façon éternellement, car c’est elle qui tomberait alors de fatigue. Elle devra s’y faire, et elle s’y fera sans aucun doute, dès que la surprise de ce nouveau froid sera passée, dès qu’elle sortira son nouveau manteau d’automne ou qu’elle enfilera les bottes qui ont passé la dernière saison endormies dans le placard. Dès que cet entre-deux cessera de la faire hésiter, de lui peser comme souvenir nostalgique de la dernière saison, elle pourra s’arrêter.
L’automne arrivera bientôt. Et alors elle pourra peut-être cesser de marcher. Cesser de fuir. Oui, s’arrêter. Pourquoi pas.
Atterrir, quoi.
M.G.-G.