Je n’aime pas les contes de Noël.
« Excusez-moi, vous travaillez ici? »
Une grande dame vêtue d’un long (très long) manteau blanc se trouve de l’autre côté du comptoir. Elle me sourit de toutes ses dents et me demande joyeusement si nous avons des contes de Noël. « Bien sûr que oui », je marmonne. « Une table pleine », j’ajoute, tentant de faire intervenir une pointe de joie dans ma voix un peu trop morne. Nous avons, en effet, une table remplie de diverses histoires de Noël. Nous les avons depuis le début du mois de novembre. Personnellement je m’en suis lassée.
« Vous les avez lus? »
« Tous! » affirmai-je, ce qui n’était même pas un mensonge, si elle savait le nombre de personnes qui, comme elle, étaient venues en magasin durant les dernières semaines pour me demander EXACTEMENT la même chose.
« Vous aimez les contes de Noël? »
Je tentai, une fois de plus, de mettre de l’intonation dans ma voix
« Je les ADORE. »
Je la laisse devant la « table de tous les possibles » et retourne à mon chariot. Dans mes oreilles perce une chanson de Noël « pop » commercialisée, dans laquelle une chanteuse s’égosillait sur « Santa Claus is coming to town », personnalisant les « toooown » avec une de ces « p’tite twist » de chanteuses qui ont le don d’agresser mes oreilles. Pendant un instant, la musique cesse, mais est vite remplacée par la plainte bruyante du train qui passe devant mon magasin. Tshshshshshsh, Fouin Fouinnnnnnn!
« Cette histoire de Noël est TROP adorable! »
Je ferme les yeux, ennuyée. Puis, je me retourne. Il s’agit de l’histoire plutôt mal écrite de la nuit du Père-Noël, qui, lors de sa tournée, oublie un cadeau, retourne au Pôle-Nord, et finalement réussit à faire sa tournée à temps. Un petit livre cartonné tout à fait plate, de mauvaise qualité, issu du groupe des œuvres que je qualifie de « fast foods » littéraires. Pourquoi cette histoire-là? Pourtant, la table est pleine, ça déborde et on ne sait plus où les mettre.
« Il y a aussi celui-ci », dis-je en pointant le joli album de Noël de Dominique Demers.
« Mmm, il y a beaucoup de texte ».
En effet. Le joli conte de mon auteure jeunesse préférée a du « contenu ». Voyons-le comme une qualité, au contraire de la platitude (voir la stupidité) du conte que ma cliente tient entre ses mains.
Je n’aime pas les gens qui magasinent des contes de Noël.
Elle finit par le prendre. Je la passe à la caisse et je ne peux m’empêcher de me faire une réflexion profonde sur le métier de libraire. On sert à quoi? À rien. Ou du moins, pas à grand-chose, vu que les gens sont très bien capables de se débrouiller tous seuls. La dame paie et s’éloigne en gambadant presque. Je soupire.
Je remets de l’ordre sur la table, lorsqu’arrive derrière moi un grand et séduisant jeune homme. Il s’approche et m’apostrophe.
« Vous travaillez ici? »
J’aurais voulu lui crier « Taisez-vous! Me demander un conseil risque de détruire l’image agréable que je me fais de vous! Vite, partez! », mais j’ai plutôt répondu un « Oui » timide et forcé.
« Pourriez-vous me conseiller un conte de Noël? »
Je me retiens pour ne pas hurler qu’il n’y a « PAS de contes de Noël ici » et qu’il devrait
« rentrer le plus vite possible chez lui avant que la stupidité gagne le monde entier et que les contes plates de Noël se mettent à diriger la planète », mais j’ai répondu « bien sûr ». Poliment, je vous assure. Il était, d’autant plus, très agréable à regarder. Et semblait sympathique. Et pas trop rempli de cette « magie de Noël » qui rend tout le monde un peu trop joyeux et un peu trop stupide.
Je n’aime pas la magie de noël.
Je lui montre la table. « Vous devriez trouver quelque chose d’intéressant ici. »
« Il y en a un que vous avez préféré? » qu’il me dit. « Vous devez en avoir lu plusieurs, quelle est votre suggestion? »
Je me mords la langue et pointe rapidement mon conte préféré. « Celui-là »
Il prend l’album en question dans ses mains et le feuillette rapidement.
« Il a l’air… »
« … d’avoir beaucoup de texte, je sais ».
« Non, il a l’air très intéressant! Je vous fais confiance, je le prends! »
Je ne sais pas si mon Bel Homme l’a remarqué, mais je souriant maintenant de toutes mes dents. Mes yeux s’illuminent, je rougis, j’oublie même de tressaillir à cause de la musique de Noël qui, pourtant, joue dans mes oreilles depuis un mois et demi. Mon Bel Homme me sourit et me suit à la caisse. Je le fais payer sans décrocher mon sourire et lui tend la monnaie gracieusement.
Puis, alors que je me prépare à le voir partir, il me demande : « Vous avez le sac? C’est pour la lecture en cadeau… »
Abasourdie, je me penche sous le comptoir et lui tends généreusement un sac transparent dans lequel il pourra mettre son album-cadeau.
« La boîte est à la sortie ».
Il hoche la tête et me salue en sortant du magasin. Le livre fait « ploc » dans la boîte de carton. Je souris.
Comme quoi, la magie de noël ne m’a peut-être pas totalement quittée à force de travailler dans un centre d’achat durant la période des fêtes. Comme quoi, comme on dit, il en reste toujours un peu.
Joyeuses fêtes!
M.G.-G.