Il y eut, dans ce petit ventre plat dissimulé dans les tissus de sa robe, un frisson, un tremblement, une fissure. Si délicate, elle l’avait à peine remarqué, n’y avait pas prêté attention, était retournée à son quotidien sans plus se poser de question. Mais cette courte secousse avait provoqué la création d’un minuscule trou, microscopique d’abord, puis de la taille d’un millimètre, puis de deux. Une faille lui divisait maintenant le ventre. Puis il y eut une seconde secousse, plus forte cette fois-ci. Une crampe, un malaise. Elle aurait dû reconnaître les signes, mais elle ne les connaissait pas. Pour elle, il ne s’agissait en rien d’une alarme. Rien à déclarer ou à observer. Ainsi, elle ne s’enfuit pas.
2. Éruption
À la manière d’un mal que l’on ne guérit pas, la plaie s’ouvrit d’un coup et explosa. Tout le mal qu’elle avait ressenti à petite dose se manifesta dans une puissance exponentielle. Le trou, devenu béant, l’avala entièrement, goulûment. Aurait-elle pu éviter cela? Difficile à dire. Il aurait fallu recoudre une à une les minuscules fissures, ces petits trous qui avaient commencé à percer son utérus et son cœur, apposer des bouillottes chaudes et prendre du repos. Mais la faille cardiaque avait grandi librement sans qu’on s’occupe de la réparer. Et elle n’a pas su reconnaître le signal d’alarme. Maintenant, tout son corps souffrait de ce qu’elle n’avait pas pu voir et distinguer à temps.
3. Ensevelissement
L’explosion avait provoqué la chute d’une quantité incroyable d’objets. Dans les airs voletaient à la fois des morceaux de ses vêtements, de sa vie, de sa maison et ceux de son âme, éparpillée par son manque d’attention et sa négligence. Les importantes et complexes structures érigées en sable, dans leur allure autrefois majestueuse, étaient maintenant éparpillées sur le sol, détruites et brouillées parmi le ravage. Elle nageait à travers le vent et la tornade qui s’abattaient sur elle. Elle avalait des secousses de drame sans avoir la force de les recracher. Elle aurait dû voir ce qui s’en venait. Elle aurait dû percevoir les signes du séisme de sa vie et de son corps. Mais il était trop tard.
4. Cendres et brûlures
Son corps ne pouvait plus bouger. Sous la lourde couche de résidus, elle était prisonnière, asphyxiant dans le manque cruel d’air autour d’elle. Elle essayait, pourtant. Le contact des matériaux chauds avec sa peau la brûlait, la calcinait, mais elle ne pouvait pas remuer le moindre muscle de son corps pour s’en dégager. Les cendres de son existence lui avaient construit un réceptacle sur mesure pour sa mort. Il n’y avait plus rien à faire.
5. Mort et anéantissement
Son cerveau s’éteignait tranquillement. Tel un système d’exploitation qui rendait l’âme, elle s’épuisait, se déconnectait peu à peu. Les particules de sa peau disparaissaient, des morceaux de son corps tombaient au fond de son tombeau créé par les déchets de sa vie qui s’amoncelaient tout autour d’elle. Figée dans un infini carcéral et fatal, il faudra attendre des siècles et des siècles avant qu’un homme resurgisse de nouveau dans les décombres. À l’aide d’un mélange de colle et de plâtre, peut-être réussira-t-il à reconstruire sa silhouette au moment de la catastrophe et à comprendre le drame qui l’avait alors terrassé. Parfois, il ne suffit que de quelques instants de trop pour constater les dégâts qui étaient alors devenus irréparables. Une fois la tempête enclenchée, elle terrasse sa cible jusqu’à la mort. Il n’y avait ensuite aucun survivant.
M.G.-G.